Quand sortira un nouvel album de Tintin et Haddock ?

La bande dessinée est formidable. Classée neuvième art, parmi d’illustres activités cérébrales que sont pêle-mêle : 

  1. L'architecture
  2. La sculpture
  3. La peinture
  4. La musique
  5. La poésie
  6. Le théâtre
  7. Le cinéma
  8. La photographie

elle continue de se comporter telle une babiole qui pourrait être reproduite à la chaîne pour faire plaisir aux nostalgiques irrécupérables et aux actionnaires des maisons d’édition.

La BD fait donc partie de ce que l’on nomme les Arts majeurs, et pourtant, c’est bien le seul art où le concept de propriété intellectuelle prête le plus souvent à controverse. Ainsi, à la question : « À quand le prochain album de Tintin ? », on pourrait répondre : « Et à quand le prochain Picasso ? »

Qu’est ce qu’un art majeur ?

Un art majeur est un terme utilisé pour désigner les formes de pratiques artistiques nécessitant un apprentissage long et fastidieux. Ce sont également les arts les plus valorisés, même si ce ne sont pas ceux qui ont la faveur du grand public, sauf évidemment le cinéma et la bande dessinée. Les 9 arts majeurs ignorent la littérature, peut-être parce que n’importe qui peut se revendiquer écrivain, depuis surtout que l’auto-édition permet, à moindre frais, de faire imprimer des romans ou des essais sans envergure, mais avec une belle couverture. Les œuvres d'Art majeur sont généralement reconnues pour leur excellence artistique, leur impact culturel et leur contribution significative à l'histoire de l’art. La bande dessinée est donc un digne représentant des Arts majeurs, alors pourquoi tenter de la galvauder en proposant des suites sans vergogne et bien souvent sans intérêt ?

Un nouveau Tintin aux états-unis ?

Une récente polémique a relancé le débat sur les droits d’auteur qui protègent, jusqu’en 2054, la volonté de Hergé : à savoir, qu’après lui, il ne soit dessiné aucune nouvelle aventure de Tintin. En début d’année 2025, les États-Unis ont considéré que l’album Tintin aux pays des Soviets était tombé dans le domaine public, en vertu de sa date de publication (1929). En effet, au pays de Lucky Luke (...), les œuvres sont protégées durant les 95 années qui suivent leur publication. Contrairement à la France et à l’Europe, la loi américaine ne prend pas en considération la date du décès de l’auteur. Après cette annonce, les ayants droits de l’œuvre de Hergé (la société Tintinimaginatio, qui est chargée de l’exploitation commerciale de l’oeuvre d’Hergé au nom de la veuve de Hergé, Fanny, et de son mari Nick Rodwell) vont-ils agir juridiquement pour que les États-Unis ne fassent pas exception au calendrier européen qui considère que les droits d’un créateur doivent être protégés durant les 70 années qui suivent la date officielle de son décès.

Nouveau !

Le Docteur Guido pense qu’il est dommage de se laisser leurrer par ces voyages dans le temps que l'on effectue lorsque l'on relit une bande dessinée de son enfance. Ce n’est pas avec mépris, mais affection, que le docteur affirme cela, car sa conviction est ainsi faite : relire un album de Tintin en quête d’une émotion que l’on ne se privera pas d'affecter à un temps révolu empêche de justement profiter des émotions nées de la perception en temps réel d’une réalité qui n’est pas virtuelle.

Il ne faudrait donc pas relire Tintin ou les bandes dessinées de notre jeunesse pour « se faire du bien », c'est-à-dire en souvenir des émotions passées, mais « se faire du bien » en assumant sa fonction de lecteur éveillé capable d'accorder à une histoire une réalité tangible et intemporelle.

Comment ? Tout simplement en réussissant à ne pas se laisser influencer par ce que l’on peut préméditer ou par ce conditionnement initial qui fait de nous des lecteurs inattentifs à l’histoire, mais attentifs aux conséquences d’une perception de ses effets. Ce qui semble impossible, ou réservé à quelques penseurs méditatifs, est en réalité un privilège dont n'importe quel lecteur peut jouir dès l’instant où il lira un album de bandes dessinées sans se laisser leurrer par son raisonnement qui continuera de chercher à justifier ses émotions en les affectant à une lecture passée ou à des souvenirs dont il est possible de se délester si l'on souhaite vraiment accéder à ce qu'Hergé, ou d'autres créateurs de bandes dessinées, ont créé de plus intime et qui n’est rien d’autre que la rencontre entre une réalité dessinée et une interprétation subjective libérée de sa mémoire.

Un nouveau album de Tintin : pour ou contre ?

Les lecteurs des aventures de Tintin sont souvent nostalgiques d’une époque et apprécient de revivre leurs émotions de jeunes lecteurs en lisant et relisant les anciens albums de la collection. Les plus nostalgiques apprécieraient de retrouver, à l’âge adulte, les mêmes sensations qui accompagnaient la découverte d'une aventure inédite de Tintin, mais ce serait négliger la volonté de Hergé, qu’il exprima en ces termes : « Après moi, plus d’aventures de Tintin ». Le désir de Hergé est respectable, mais surtout d’une logique implacable : des dessinateurs capables de dessiner Tintin et Haddock, il en a existé et il en existe encore. Il n’y a qu’à voir comment Didier Conrad s’est approprié graphiquement les personnages d'Asterix et d’Obélix créés par Uderzo pour se convaincre qu’un album de Tintin en 2025 serait similaire, stylistiquement parlant, à un Tintin de 1950. Mais ce serait oublier que Hergé, avant de dessiner Tintin, et de confier souvent à ses collaborateurs le dessin de tel décor ou de tel avion, était le seul scénariste des aventures de Tintin. L’analyse des albums ayant démontré, qu’au-delà des dessins et de l’histoire, Hergé avait mis beaucoup de lui dans ses personnages, il devient évident qu’un album écrit par un autre que Hergé... ne serait pas un album de Hergé. Un album de Tintin n’étant pas une simple BD, mais une œuvre intime et personnelle, les ayants droits de Hergé estiment légitime de leur part de défendre la volonté du créateur de Tintin. Le plus paradoxal dans tout ça, c’est que la frustration née de l’absence de nouveauté oblige à se réinventer, comme en rééditant d’anciens albums en noir et blanc, mais en les proposant en couleurs. Ces nouvelles parutions, qui consistent à rajeunir de l'ancien, pour en démontrer la jeunesse éternelle, fait monter la côte des éditions originales, et entretient un mythe né, rappelons-le, d’un simple cercle surmonté d’une houppette...

Hergé : « Tintin mourra avec moi »

La bande dessinée est donc bien le seul art majeur où la question de la continuité d’une œuvre se pose. Jamais, il ne viendrait à l’idée de quelqu’un de se demander : « À quand le nouveau Picasso » en l’absence de Pablo... Mais dans le monde de la bande dessinée, ce genre de question peut se poser. 

Il semble évident que la nostalgie née du souvenir d’une lecture de jeunesse est à la source de cette demande. Mais comment ne pas regretter qu’un héros de BD ne puisse pas mourir paisiblement en même temps que son créateur, surtout lorsqu'on lit les albums qui paraissent chaque année et qui mettent en scène nos héros de jeunesse (Lucky Luke, Astérix...) dans des histoires qui ne sont pas dignes du génie de leurs créateurs. Comme nous disions lors d’un récent salon du livre : « Le seul intérêt de faire paraître de nouvelles aventures d’Astérix, de Lucky Luke ou de Gaston Lagaffe, c’est de nous donner envie de relire les anciens albums, et d’en profiter avec encore plus de plaisir, car la comparaison les place à un niveau de perfection tel, qu’ils méritent bien leur place au rang d’Art majeur »...

La collection : En finir avec Tintin ?

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