Tintin et le Picaroche

Le dernier ouvrage d'Olivier Roche est aux aventures de Tintin ce que le Vidal est aux médicaments qui ne guérissent pas : un pavé de plus de 300 pages écrit par un passionné qui ne souhaite surtout pas que l’on trouve un vaccin contre la Tintinomaniaco-obsessionnelle et la Hergéophilie exémateuse. Ainsi, en publiant le second tome de son Tintin, bibliographie d’un mythe. 2014-2024, Olivier Roche démontre que l’on peut aimer la vie, écrire un ouvrage qui présente les livres sur Tintin publiés entre le 1er avril 2014 et le 30 novembre 2024 et ne surtout pas vouloir être guéri de sa Tintinonéphrite purulente.

Le cas de cet exégète à la modestie et à l’érudition aussi développées que sa passion pour la bande dessinée méritait bien une consultation de toute urgence sur le divan du Docteur Guido. Malheureusement, et sans vouloir déflorer l’étendue du désastre mental de l’auteur de Tintin, bibliographie d’un mythe (TBM), nous avons été obligés de scinder cet entretien en deux parties.

Olivier Roche en pleine séance de dédicace

Questionnaire d’admission à la clinique du Docteur Guido 

Spécialiste de traitement des symptômes de Tintinomaniaco-obsessionnelle et de Hergéophilie exémateuse.

DG – Cher Olivier Roche... Vous nous avez été envoyé par un confrère qui a décelé chez vous un potentiel certain aux délires tintinophilesques... Mais avant d’envisager ensemble une thérapie destinée à vous faire revenir sur terre, merci de vous présenter.

OR – Je voudrais bien savoir quel ectoplasme à roulettes m’estime délirant !?! Certes, je suis légèrement tintinoperché, mais pouvez-vous me citer un seul camarade tintinophile qui ne le soit pas ? Tous des tintinopathes des Carpates oui ! Mais certains d’entre nous transformons notre délire en science, mon cher docteur, comme l’hergéologie, la tintinologie et – en ce qui me concerne – la métatintinologie ! Pour me présenter rapidement, je ne dévoilerai pas mon âge, mais sachez que je suis né l’année de publication des premières planches des Bijoux de la Castafiore dans le journal Tintin. J’ai découvert les aventures du reporter à la houppette dans les vieux albums de mon père (qui les tenait du sien) avant même de savoir lire… C’est mon plus vieux souvenir… Les albums étaient sur l’étagère du bas de sa bibliothèque, je rampais pour en attraper un et je m’émerveillais devant les dessins. J’ai dû déchiffrer mes premiers mots dans Tintin… L’œuvre d’Hergé ne m’a jamais lâché ! Elle est à l’origine de ma passion pour le neuvième art tout entier et il n’est pas né le toubib qui me fera revenir sur Terre !

DG – Avec le TBM, Tintin. Bibliographie d’un mythe. 2014-2024, paru en début d’année aux Impressions nouvelles, vous proposez la synthèse la plus exhaustive possible de toutes les publications concernant Hergé et Les Aventures de Tintin ? Êtes-vous un obsédé textuel ?

OR – Tout à fait ! À la fin des années 2000, Benoît Peeters, spécialiste de bande dessinée, écrivain, éditeur et j’en passe, observait mon modeste travail avec bienveillance. Le projet bibliographique dont j’ai posé les bases dans l’article « Tintin, de la collection à l’encyclopédie » paru dans un numéro de la collection de sciences humaines L’Équinoxe titré Objectif bulles. Bande dessinée & histoire sous la direction de Michel Porret (Georg, 2009) a sûrement retenu son attention. J’ai hérité de ma famille d’une folie bibliophile – j’ai toujours vécu entouré de livres – et je me suis inspiré de la bibliographie établie par Numa Sadoul dès les années 1970 puis des travaux des Amis de Hergé (La Bibliothèque tintinophile idéale, 2002) ou de Paul Labesse (Bibliographie sélective, critique et ordonnée d’ouvrages sur Hergé et Tintin, 2005). Mais un autre tintinophile, Dominique Cerbelaud, envisageait également d’établir une bibliographie raisonnée sur Tintin. Benoît Peeters nous a réuni et nous avons écrit à quatre mains (et avec bonheur !) le premier volume du TBM. Dix ans plus tard, j’ai continué seul le travail. La somme des deux ouvrages constitue un outil de référence pour les tintinophiles ou les chercheurs.

Olivier Roche, avec Dominique Cerbelaud, Philippe Goddin et Benoît Peeters, à la tribune des ADH en 2014

DG – Dans le TBM, vous commentez certaines publications d’une plume acérée. Or, vous n’avez pas encore écrit un essai digne de votre talent... Complexe d’infériorité ou complexe de supériorité ? Vous avez peur de n’avoir rien à dire d’intéressant sur Tintin ou vous craignez que trop peu de lecteurs ne prennent la mesure de vos arguments ?

OR – Ni l’un ni l’autre docteur. C’est surtout une histoire de temps… Je suis retraité maintenant et comme tout bon retraité qui se respecte, je manque de temps. Mais j’ai plusieurs projets dans les tuyaux. Le premier sera l’histoire de l’association Les Amis de Hergé (ADH). À l’origine, c’est une commande de mes camarades du conseil d’administration pour les 35 ans de l’association, mais j’ai terriblement procrastiné ! Au point que j’ai aussi loupé le quarantième anniversaire ! Fichtre ! Mais le travail, peut-être un peu trop ambitieux, a bien avancé et je m’y remets cette année à la rentrée… J’ai deux autres projets en préparation. Le premier a été évoqué par Nicole Benkemoun dans son remarquable ouvrage La dernière aventure de Tintin et d’Hergé. L’Alph-Art ou l’art de l’inachevé. Je la cite : « Olivier Roche […] prépare une étude sur tous les albums apocryphes illégaux. » Ce que j’appelle, faute de mieux, le mouvement parodique. On va rire ! Il ne s’agira pas d’un catalogue ou d’une bibliographie, mais d’un essai historique, sociologique… L’autre projet est secret. Je n’en parle pas. Pour ces deux ouvrages, la trame est prête, la documentation réunie, il n’y a plus qu’à rédiger ! En attendant, j’écris de temps en temps pour les revues des associations tintinophiles. J’ai aussi cordonné deux ouvrages ces dernières années : Hergé au sommet dans la collection « Zoom sur Hergé » (Sépia, 2021) et Tintin aujourd’hui. Images et imaginaires (« L’Équinoxe », Georg, 2021). J’ai également participé activement au hors-série des Cahiers de la BD, Hergé. Le père de Tintin se raconte sous la direction de Nicolas Tellop (2020). J’écris enfin régulièrement sur plein d’autres sujets bédéphiles pour le site En Attendant Nadeau.

DG – Vous êtes membre des Amis de Hergé (ADH), une association tintinophile respectable et respectée et, selon nos sources, vous rêveriez d’être calife à la place du calife ?

OR – Quoi ?!? Vos sources sont vraiment mal informées, ou elles fantasment ! L’association a eu deux présidents : Stéphane Steeman de 1985 à 2009 et ensuite Philippe Goddin (nul besoin de les présenter !). Je ne serai pas le troisième ! Je suis adhérent des ADH depuis 1990, j’ai été au conseil d’administration à plusieurs reprises et, à l’occasion des dernières élections en 2024, j’ai été de nouveau élu administrateur et j’ai pris en charge le secrétariat au sein du bureau (ce qui, au passage, représente un gros boulot). Il y a eu un renouvellement et un rajeunissement des cadres à l’occasion de ces élections. Ils sont venus épauler une partie de l’ancienne équipe. Je crois que la sauce est en train de prendre. Nous avons stabilisé les procédures mises en place sous la précédente mandature, on peut maintenant envisager de nouveaux projets en particulier avec le centenaire de Tintin qui se profile en 2029… Tout tintinophile qui se respecte se doit de rejoindre Les Amis de Hergé pour recevoir la belle revue semestrielle et participer au plus grand rassemblement tintinophile existant : la journée annuelle fixée traditionnellement au premier samedi du mois de mars… Bon à part ça, cher docteur, je vous rappelle que « calife à la place du calife » est une invention de Goscinny et non de Hergé !

DG – Selon Freud, le complexe d’Œdipe met en scène la pulsion inconsciente de tout fils qui cherche à tuer le père, symboliquement, pour accéder à l’âge adulte... Il semble que les albums parodiques, les pastiches, qui se moquent ou placent Tintin dans des situations irrespectueuses de l’œuvre originale, fonctionnent sur le même ressort de dénuement du père (en l’occurrence Hergé).

Que pensez-vous personnellement de ces pastiches ? Sont-ils légitimes ou condamnez-vous cette atteinte à l’intégrité morale de Tintin ?

OR – Je ne condamne rien du tout ! On parle ici d’un véritable mouvement d’importance, d’un phénomène exceptionnel qui dure depuis des décennies, qui dérange l’ayant-droit d’Hergé et les tintintégristes mais dont on ne peut nier l’existence. Il s’agit de milliers et de milliers de créations, de nouvelles aventures, de détournements et de débordements, d’hommages, de clins d’œil, de pirates, de pastiches, de parodies, de parostiches, etc. Dans son ouvrage Après, Tintin… (BOD, 2009), Frédéric Grolleau se pose la question – qui reste d’actualité – de ces albums, « parodies du grand œuvre qui circulent sous le manteau et se vendent tous les jours que Dieu fait »… Mais plutôt que de convoquer Freud, il appelle Platon (l’allégorie de la caverne) et les Wachowski (la trilogie Matrix) pour s’interroger sur la réalité, puis sur la connaissance de la réalité, de la matrice hergéenne : « Les imitations de Tintin pourraient-elles, contre toute attente, être une des formes de sa vérité, pour ne pas dire de sa réalité ? » Nous en avions beaucoup discuté avec Jean-Marie Apostolidès. Il considérait que, face à la culture tintinesque officielle, il s’agit d’une véritable contre-culture qui est apparue… Je l’invitais à écrire sur ce sujet ! Si son origine dans les années 1960 ou 1980 est plus prosaïque (éditer Tintin au pays des Soviets, introuvable à l’époque, publier des versions inédites des Aventures de Tintin parues dans les journaux ou prolonger l’album inachevé L’Alph-Art), le mouvement a vite proposé de nouvelles aventures. La question de la contre-culture est intéressante et malheureusement le décès de Jean-Marie en 2023 est venu interrompre notre réflexion… Mais je vais creuser la piste freudienne !

DG – Certains dessinateurs qui pastichent l’œuvre de Hergé vendent, parfois à prix d’or, leur production non officielle... Pensez-vous comme Hergé qui ne s’étonnait pas de voir des hommes agir avec avidité, mais qui s’étonnait qu’ils ne soient pas honteux ?

OR – Mais d’où tirez-vous cette citation ? Qu’importe, c’est un paradoxe : des dessinateurs pastichant l’œuvre de Hergé ou voulant simplement rendre hommage (notamment Yves Rodier et d’autres auteurs plus ou moins anonymes) voient leurs créations illégales et non autorisées piratées et vendues parfois à prix d’or ! Et il s’agit souvent de mauvaises copies, le monde des faussaires étant impitoyable et sans scrupule… Yves Rodier a réalisé une version complète de Tintin et l’AlphArt, complétant le scénario inachevé d’Hergé. Cette œuvre n’a jamais été approuvée par l’ayant droit et est donc considérée comme pirate. Les tirages originaux numérotés de l’édition de Rodier (une soixantaine) s’échangent aujourd’hui à plusieurs centaines voire plus de mille euros… Mais l’ouvrage a été scanné, colorisé, démultiplié en des dizaines d’éditions différentes… Et maintenant on le trouve partout. Y mettre plus de 30 euros me semble dingue… Sauf pour une EO (édition originale) de Rodier... Ah ah ah ! Comme celles qu’il vendu lui-même en 1991 et 1993 avec sa signature...  Vous voulez d’autres exemples ? Les merveilleux petits albums de Zinzin ont eux aussi été piratés par Exem (c'est le nom du dessinateur). Mais en voyant le résultat, l’auteur, un vrai perfectionniste doué d’un incroyable talent, est tombé en PLS ! Harry Edwood aussi est victime de ce commerce. Il réalise des œuvres soignées pour un public restreint et on le pille sans vergogne ! Ce sont les vilains copistes de ces bons artistes qui devraient avoir honte !

DG – Bien... Comme vous me paraissez particulièrement éprouvé par mes questions, je vous propose de faire une pause dans cette consultation...

OR – Mais pas du tout ! Je me sens au contraire de mieux en mieux !

DG – Eh bien, moi, je suis fatigué, voilà ! Alors nous reprendrons cette consultation dans un moment...

OR – C'est comme vous voulez, docteur... Après tout, le grand malade, c'est peut-être vous...

DG – Je ne vous le fais pas dire.

Fin de la première partie de la consultation

La suite dans quelques jours...

Tintin, bibliographie d’un mythe. 2014-2024

On référençait, fin 2024, plus de 540 ouvrages consacrés à Hergé à son œuvre. Pour s’y retrouver, Olivier Roche vous propose le second tome de son « TBM » qui recense environ 300 nouveaux volumes parus depuis la première édition de 2014. Chaque ouvrage profite d’une présentation critique (pertinente, amusante, érudite  et toujours argumentée), d’une notice bibliographique (le nom de l’éditeur, le format du livre, le nombre de pages, etc... et d'une reproduction de la couverture. 

Le livre que tout passionné de BD atteint de tintinophilie obsessionnelle ou non se doit de posséder pour continuer de ne pas guérir...

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