Jacques Langlois ou la mémoire incarnée...

Docteur Guido

Présentation

Jacques Langlois fait partie des quelques tintinophiles émérites qui peuvent revendiquer d’avoir connu « en vrai » Hergé. Devenu avec le temps un spécialiste de l'œuvre du créateur de Tintin, membre actif de l'association belge « Les Amis de Hergé », il a écrit de nombreux articles et livres sur le sujet, notamment en tant que directeur éditorial de quelques publications qui font références (cf. les Hors-Séries des magazines Le Point, de Historia ou de Paris Match).

Né en 1950, Langlois a entretenu dès l’âge de dix ans une correspondance suivie avec Hergé jusqu’à la mort de celui-ci. Cette relation privilégiée lui a permis de rencontrer le créateur de Tintin à plusieurs reprises et d'être un témoin puis un acteur en vue de certains événements liés au monde de tintinophilie...

Déjà auteur d’un livre passionnant (« Petit éloge de Tintin », paru en 2020), Jacques Langlois nous propose avec son « Hergé et le carnet oublié », publié en juin 2024, un point de vue original sur la vie de Georges Remi et de Hergé, à partir d’un répertoire d’adresses dans lequel figure en bonne place l’auteur du livre. Cette base de travail peu commune est matière à réflexions dans le cadre d'une enquête minutieuse destinée à mieux appréhender la vie intime de Hergé et mieux connaître sa personnalité à travers les nombreuses relations répertoriées (le carnet contient 360 mentions de correspondants divers ayant croisé le chemin de Hergé : membres de la famille de Georges Remi, confrères de la bande dessinée, journalistes, éditeurs, artistes, collectionneurs, amis d'enfance ou relations plus tardives).

Jacques Langlois était déjà tout à fait légitime pour commenter l’œuvre de Hergé, le voilà devenu un interlocuteur incontournable grâce à ce livre qui propose un regard inédit sur le réseau personnel et professionnel de Hergé. En dévoilant des aspects de la vie et de la carrière du créateur de Tintin à partir d’un support atypique, on découvre avec émotion une personnalité hors du commun vivre comme le commun des mortels… Le travail littéraire mené par Jacques Langlois nous permet de profiter de notre lecture sans jamais ressentir de gêne au moment de pénétrer aussi intensément l’intimité d’un homme qualifié couramment de pudique et de timide. Ce « carnet oublié » profite de la curiosité d’un passionné qui sait rester respectueux et discret, mais qui sait également nous distiller ses convictions quand il les juge utiles au développement de ses arguments (comme les passages qui concernent la journaliste Gabrielle Rolin ou Michel Serres). 

Jacques Langlois était donc tout indiqué pour inaugurer notre nouvelle rubrique et répondre 100 détour et 101 complexe aux questions du Docteur Guido…

Première partie de la consultation de Jacques Langlois

1 - Bonjour Jacques Langlois, vous ferez quoi en 2029 ? 

Cette année-là, quand Tintin fêtera son centenaire, moi j’entrerai dans ma 80e année ! Alors, avant de savoir ce que je ferai, j’essaierai déjà d’être là et en état de faire… 

2 - Presque cent ans plus tard, qu’est-ce qui vous gêne dans Tintin au Congo : le regard colonialiste du héros ou que Tintin tue quinze antilopes, un chimpanzé, un serpent, plusieurs crocodiles, un éléphant, un rhinocéros et un buffle ?

Ce qui me gêne, c’est que ce soit encore, paraît-il, l’un des albums de la série les plus vendus alors que ni le dessin, ni le scénario ne laissent imaginer ce que sera le génie d’Hergé ! Je crois bien que c’est en tout cas le dernier album que j’ai acheté quand Casterman l’a enfin réimprimé au début des années 70. Et c’est à coup sûr celui que je connais le moins bien. Je l’ai sans doute lu trop tard et avec mes yeux d’adulte. C’est pourquoi j’ai toujours été favorable à ce que cet album, d’un autre temps en effet, soit accompagné d’une introduction recontextualisant sa genèse et les idées dominantes de cette époque. Il est clair en tout cas qu’Hergé était sur la même longueur d’onde que Gide sur l’U.R.S.S. mais pas sur le Congo ! 

3 - Dans l’album des 7 boules de cristal, les Dupondt ouvrent une boîte devant Tintin, afin de lui montrer les éclats de cristal récupérés près d’une victime. Savez-vous combien d’éclats de verre sont visibles* et que pensez-vous des fureteurs en herbe qui sont persuadés que Hergé a disséminé des symboles et des indices à vocation ésotérique dans les Aventures de Tintin ?

Je n’ai jamais été incollable dans ces concours de tintinologie, incapable par exemple de donner le numéro d’immatriculation des voitures ou le type des avions ou de répondre à une question comme le nombre d’éclats de cristal ramassés auprès des premières victimes ; sauf à aller voir dans l’album ! 

Il y a eu pas mal d’essais consacrés à l’ésotérisme dans Tintin. Je trouve que la plupart sont illisibles pour les non-initiés (dont je fais partie !). Mais, après tout, tout cela participe du mythe et, chez Bertrand Portevin, c’est le plus souvent astucieux et très drôle ! D’ailleurs, j’ai piloté un hors-série d’Historia en 2013 consacré aux « forces obscures » dans Tintin, mais ce n’est pas le plus réussi ni le plus convaincant de la série. 

Je ne crois pas personnellement qu’Hergé ait été franc-maçon mais, contrairement à ce qu’Arnaud de la Croix a cru lire dans mon livre, je ne nie pas qu’Hergé ait pu être sensible à certaines thèses ésotériques et irrationnelles. J’en parle d’ailleurs dans l’avant-dernier chapitre. 

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jacques langlois

Jacques Langlois, très à l’aise de ses mains, qu’il s’agisse de tenir un micro ou un stylo

4 - Dans l’album des Bijoux de la Castafiore, Hergé nous dit qu’il a mis beaucoup de ce qu’il a vécu dans cette histoire (la fanfare, le jardinage…). Pouvez-vous nous citer un autre exemple de collusion amusante entre réalité et fiction, et que l’on peut retrouver dans votre livre Hergé et le carnet oublié ?

Il y a en effet quelques exemples de rencontres fortuites ou non entre la réalité et la fiction. Plutôt que de divulgâcher, je préfère que mes futurs lecteurs les découvrent. Mais, je le dis à la fin du livre, je ne crois pas que les aventures de Tintin soient une autofiction et que l’on y trouve, plus ou moins cachée, la vie d’Hergé. Bien sûr, on le sait depuis longtemps, le dessinateur a glissé des clins d’œil où tel trait de Germaine se retrouve chez Bianca, où Haddock lui ressemble ; mais ça ne va pas, de mon point de vue, aussi loin que certains biographes et autres exégètes le disent.

4 - L’hôtel Cornavin de Genève a créé une chambre 122, dans laquelle aurait dormi Tournesol, qui n’existait pas avant la parution de l’Affaire Tournesol… Donnez-nous votre point de vue sur ce besoin de rendre vrai ce qui n’a pas existé ? Pensez-vous qu’un passionné nostalgique de Tintin est nécessairement un collectionneur ou quelqu’un qui cherche à incarner le monde imaginé par Hergé ?

Au passage, je ne conseillerai pas à ceux qui passent par Genève de dormir au Cornavin. Le clin d’œil « tintinesque » dans un coin du hall ne suffit pas à rendre l’endroit accueillant : le sympathique concierge croqué par Hergé a été remplacé de longue date par des « managers » impersonnels et le bruit des vieux trams métalliques se croisant au carrefour nuit gravement au sommeil dans la chambre 122 et les autres. Il fallait être sourd comme Tournesol pour ne pas en être gêné ! Mais fermons cette parenthèse... 

En fait, je connais plus d’un passionné de Tintin qui n’est pas collectionneur ou qui ne se déguise pas à l’occasion en Dupont ou en Dupond. Moi, je suis devenu collectionneur après la mort d’Hergé. Était-ce une façon de remplacer ma correspondance avec lui, de poursuivre notre dialogue autrement ? Sans doute. Mais j’ai revendu ce que j’avais acheté depuis, ne gardant que notre correspondance et les quelques cadeaux (dessins ou albums) qu’il m’avait offerts et dédicacés. Je me suis séparé des Pixi très tôt, les dessins originaux et les éditions rares des albums ont suivi plus récemment. Ça fait bien quinze ans quand même. Juste au moment où j’ai commencé à écrire sur Hergé et Tintin, avec le premier hors-série pour Historia. Tiens, tiens…

Fin de la première partie de cette consultation...

Hergé et le carnet oublié

En attendant de lire la suite de la consultation de Jacques Langlois, dans quelques jours, vous pouvez commander son dernier livre « Hergé et le carnet oublié » en cliquant sur ce lien.

Présentation de l’éditeur : Quelque 360 correspondants remplissent les pages du dernier carnet d’adresses de Georges Remi, alias Hergé. Dernier carnet puisque c’est au début de 1978, alors que le dessinateur avait passé 70 ans, qu’il s’y était attaqué avant de tomber malade l’année suivante et de disparaître cinq ans plus tard. Les entrées du répertoire racontent à leur façon la vie de cet inconnu célèbre et concourent à un portrait original du génial mais complexe créateur de Tintin.

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Commentaires

ANDRÉ Alain.
il y a 13 jours

Le livre de Jacques Langlois est passionnant à plus d'un titre. C'est une nouvelle approche de la vie du maître de la ligne claire par une voie nouvelle. Jusqu'à présent les excellentes biographies parues allaient de George Remi aux personnes rencontrées dans sa vie. Là c'est l'inverse. Félicitations.