Tintin au Portugal

Ce n’est pas au Congo, mais bien au Portugal que les Aventures de Tintin firent leur premier voyage loin de la Belgique... En effet, la première traduction officielle d’une histoire de Tintin le fut en portugais dans un journal pour enfant qui proposait également, pour la première fois, la lecture des aventure en couleurs (même si le choix de celles-ci peut parfois laisser perplexe...).

Alors, est-ce que le Portugal est toujours une terre de tintinophiles convaincus ? C’est ce que l’on vous propose de découvrir en partant à la rencontre d’un passionné de Tintin de « pas encore » 77 ans...

Antonio Monteiro

Tintin et Lisbonne

1 - Bonjour António Monteiro, pouvez-vous vous présenter aux amis et aux abonnés de 7SANS14.fr ?

Je suis né en 1951, à Lisbonne, au Portugal. Avant ma retraite, j’étais professeur de Mathématiques à l’université. Je suis marié, j’ai deux filles et cinq petits-fils. Mais rassurez-vous, je ne suis pas passionné que de Mathématiques... J’ai également un faible pour la littérature, le cinéma d’épouvante et heureusement la bande dessinée ! Mon autre passion porte le nom de Conchyliologie, qui est une branche de l'Histoire naturelle qui se consacre à l'étude des mollusques à coquille. J’ai écrit plusieurs livres à ce sujet et notamment un article à partir d’un dessin de Hergé qui mettait en scène, outre le capitaine Haddock et Tintin, des coquillages parfaitement représentés.  

2 - En quoi l’œuvre de Hergé est-elle devenue indispensable dans votre vie, à partir de quel âge avez-vous compris qu’il y avait plus à lire dans les Aventures de Tintin que de simples histoires pour la jeunesse ?

J’ai découvert l’œuvre de Hergé quand j’étais encore enfant, puisque les aventures de Tintin étaient publiées dans des journaux portugais pour les jeunes, dont Cavaleiro Andante, que je lisais régulièrement. En grandissant, j’ai appris à apprécier la richesse des textes et la qualité de mise en scène des histoires et aujourd’hui encore il m’arrive souvent de chercher dans les cases dessinées par Hergé des détails qui me permettent d’illustrer une idée ou de faire une blague. Il est d’ailleurs toujours intéressant de rappeler que le Portugal fut le premier pays étranger à publier les planches de Hergé à partir de 1935. Ces histoires étaient non seulement traduites en portugais, mais aussi en couleurs, dans les pages du journal O Papagaio (qui signifie : le perroquet). 

3 - Pouvez-vous nous citer un album de Tintin qui a votre préférence et pourquoi ?

Mon album de Tintin préféré est sans doute L’Affaire Tournesol. La principale raison, outre la grande qualité de l’histoire et du dessin, étant que ce fut la première aventure que j’ai lu en entier quand elle a été publiée dans Cavaleiro Andante (1957-1958). D’autres aventures avaient été publiées auparavant, mais je n’ai commencé à lire régulièrement le journal que vers l’âge de six ans. L’Affaire Tournesol est une histoire suffisamment complexe pour entraîner le lecteur dans ses méandres et le dessin de Hergé est, selon moi, à son sommet. Les interprétations et les analogies sociales et politiques, qui échappaient forcément à un enfant de six ans, m’ont été dévoilées au fil des années, le tout constituant pour moi un des chefs-d'œuvre de la bande dessinée.

4 - Vivant au Portugal, fréquentez-vous beaucoup de tintinophiles, y a-t-il des événements qui célèbrent l’œuvre de Hergé ?

Nous avons effectivement un groupe d’amateurs de Tintin. Nous organisions régulièrement des rencontres et des événements, mais la pandémie de Covid-19 a freiné cet enthousiasme. Durant de nombreuses années, nous avons organisé plusieurs salons et colloques à propos de l’œuvre de Hergé. Avec le soutien de la Fondation Moulinsart, nous avons organisé début 2019 une session commémorative du 90ème anniversaire de Tintin. Deux ans plus tard, La Fondation Calouste-Gulbenkian a accueilli une rétrospective de Hergé à Lisbonne et notre groupe de tintinophiles a contribué à l’événement en proposant une publication ayant pour titre : « Hergé em Portugal » et qui fut distribuée avec le catalogue général de l’exposition.

Tintin et les coquillages

5 - Vous avez travaillé à partir d'un dessin de Hergé qui vous a permis de faire la jonction entre votre passion de conchyliologue et celle pour Tintin. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ayant toujours été fasciné par tous les aspects de l’Histoire Naturelle, je collectionne les coquillages depuis près d’une soixantaine d’années. J’ai publié – généralement en tant que co-auteur – des livres sur la faune des îles du Cap Vert et je suis aussi co-auteur de plusieurs livres sur les Cônes de l’Afrique occidentale. Je prépare d’ailleurs en ce moment, avec deux autres auteurs, un travail sur les espèces de Cônes di Brésil. Lorsque j’ai découvert ce fameux dessin de Hergé, qui montre Tintin et le Capitaine Haddock se promenant sur une plage, avec un certain nombre de coquillages sur le sable, j’ai observé que l’auteur les avait reproduits avec beaucoup de précision, ce qui permettait d’identifier avec certitude les espèces représentées. J’ai donc saisi cette opportunité pour écrire un article à partir de ce dessin que Hergé avait offert à son ami Édouard Cnapelinckx en 1947 (ce dernier étant collectionneur de coquillages).

Pour lire le texte de Antonio Monteiro sur les coquillages de Hergé, téléchargez le fichier ci-dessous :

Tintin Et Les Coquillages Pdf
PDF – 279,5 KB

7 - Vous lisez beaucoup de romans fantastiques ou d’épouvante, en quoi l’œuvre de Hergé peut également être lue d’un point de vue angoissant ou oppressant ?

Si on ne peut pas dire que les Aventures de Tintin sont des histoires d’épouvante, il faut reconnaître que certains épisodes se servent des clichés du genre pour créer délibérément une atmosphère inquiétante. J'en veux pour preuve la fin de Tintin en Amérique, lorsque le détective Mike MacAdam part à la recherche de Tintin, qui vient d'être kidnappé. Bien qu’il n’y ait rien de surnaturel dans cet épisode, le traitement de l'image, sur fond nocturne, la main tendue vers le dos du détective et même l'odeur inexpliquée sentie par Milou, sont des éléments communs aux histoires d'horreur : la main décharnée pourrait facilement appartenir à un vampire ou à tout autre monstre similaire, dont l'état cadavérique expliquerait la mauvaise odeur. La même atmosphère sombre surgit dans L'Île Noire, lorsque, dans le pub « The Kiltoch Arms », lorsqu'un vieil écossais avertit Tintin du danger qu’il encourt s’il s'aventure dans les eaux du lac ou sur l'île elle-même. L'ensemble de la scène est digne de la meilleure tradition des films d'horreur, notamment des films de vampires ! Notons que L'Île Noire date de 1938, tandis que le film Nosferatu, de F. W. Murnau, est de 1922 et Dracula, de Tod Browning, de 1931. Ces films donnent clairement le ton à beaucoup d'autres qui ont été réalisés plus tard et l'une des scènes clés est précisément celle au cours de laquelle Jonathan Harker, s'arrêtant dans une auberge perdue quelque part en Transylvanie, sur la route des Gorges du Borgo et du château du comte Dracula, est confronté à la crainte des villageois qui fréquentent l'établissement et qui tentent de le dissuader de poursuivre son voyage, le prévenant de vagues dangers. Le mystère de l’Île Noire trouve son inspiration dans le mythe du monstre du Loch Ness, tout comme on trouve dans Les 7 Boules de Cristal des échos de la malédiction de Toutânkhamon. L’ambiance de mystère et d'épouvante est assumée lorsque la momie de Rascar Capac hante les rêves de Tintin, Haddock et Tournesol. Si la nature onirique de l’apparition la fait se situer dans le royaume du naturel, la coïncidence d’un cauchemar partagé par les trois héros participe à l'ambiance angoissante de la maison de Bergamotte.

8 - En quoi l’album des Bijoux de la Castafiore fait-il appel aux « ficelles » des histoires d’épouvante, mais sans se risquer au-delà d’une simple évocation ?

Il serait clairement incorrect et même ridicule de classer Les Bijoux de la Castafiore dans la catégorie des histoires d’épouvante, ce qui ne signifie pas qu’on ne puisse pas y dénicher quelques ficelles dignes des films ou des romans d’angoisse. Si Les Bijoux de la Castafiore semble dérouler son intrigue à partir des relations entre les différents personnages, la disparition mystérieuse de l’émeraude fournit un enjeu similaire à celle d’un roman policier. Les Bijoux de la Castafiore est donc une histoire comprenant plusieurs niveaux de lecture qui se superposent et s'interpénètrent, et qui, à partir d’une simple représentation de la vie quotidienne au château, devient un vrai thriller. Naturellement pour que la disparition d’un bijou puisse participer à créer un climat suffisamment dramatique, il faut mêler au drame un adéquat composant d’angoisse, comme à loccasion de la scène où la Castafiore affirme avoir vu « un monstre », ou « un fantôme » qui aurait poussé « un long cri lugubre » et qui avait « deux yeux qui brillaient »

9 - Un dernier mot à l’attention des amateurs de Tintin ?

Hergé fêtera bientôt (le 22 mai, pour être exact) son 118ème anniversaire ; Tintin, lui, célébrera son centenaire dans quatre ans. On pourrait en conclure que les travaux du premier, et les aventures du deuxième, sont de fait un peu datés, voir peu conformes aux attentes des jeunes d’aujourd’hui. Personnellement, je suis plus optimiste : il y a quelques années, le groupe tintinophile portugais auquel j’appartiens a invité des écoliers à l’occasion d’une exposition que nous avions organisée. En tout, près de 200 enfants sont venus, la plupart âgés de dix à quatorze ans, et nous avons pu vérifier que beaucoup d’entre eux connaissaient Tintin et ses aventures, leurs parents possédant des albums, qu’ils avaient donc eu l’occasion de les lire. Nous avons proposé aux enfants de faire des dessins inspirés des histoires de Tintin et nous avons été surpris par le nombre de dessins reçus. Finalement, notre obligation, à nous les premiers lecteurs des Aventures de Tintin, est de faire connaître Tintin à nos enfants et petits enfants... Nous devons leur donner envie de lire ces albums que nous conservons tous dans nos bibliothèques, leur montrer nos modèles de figurines, nos collections... Et si on fait tous ça, alors l’avenir sera certainement brillant comme les bijoux de la Castafiore !

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