La biscotte de Proust

En 2022, on fêtait le centenaire de la mort de Marcel Proust, mais la frénésie autour de noter génie national ne faiblit pas. Marcel Proust continue malgré les années de faire la joie des passionnés de littérature et la fortune de sa famille. C’est ainsi que l’on apprend que La Bibliothèque nationale de France (BnF) souhaite acquérir près de 900 manuscrits et documents de l’auteur de À la recherche du temps perdu qui, rappelons le, a été écrit en partie publié après la mort de Proust. La BNF a suffisamment de bonnes raisons de vouloir récupérer ces manuscrits, mais pas suffisamment d’argent... C’est la raison pour laquelle une souscription a été ouverte jusqu'au 31 décembre 2025, dans le but de récupérer 7,7 millions d’euros (le prix demandés par les détenteurs de ces documents).

Quelle est l'ambition de la BNF ?

La BNF a l’ambition de détenir le fond de documents, concernant Marcel Proust, le plus important au monde. La BNF parle joliment de « plus grand ensemble proustien au monde », tant il est vrai que le phénomène dépasse le simple cadre de notre territoire national. Ce trésor littéraire est donc d’un enjeu littéraire, émotionnel et patriotique indéniable, même si l’on peut se questionner sur le prix demandé (7,7 millions d’euros est une somme quand même un peu zinzin, n’est-il pas ?).  

De quoi est composé cet ensemble de documents proustiens ?

Cette collection est composée de feuillets inédits de À la recherche du temps perdu, ainsi que des poèmes, quelques dessins signés ou nom de la main de Proust. Des articles découpés dans les revues de l’époque et quelques lettres complètent l’ensemble, mais le « clou » de la collection consiste en cette révélation : la madeleine de Proust a bien failli être une biscotte. En effet, les manuscrits successifs permettent d’en savoir plus sur l’évolution du texte qui fait partie du chapitre Du côté de chez Sawnn (l’épisode dans lequel est raconté la dégustation de la madeleine). La succession des versions permet ainsi de découvrir que Proust avait choisi de se servir d'un morceau de pain, puis de pain grillé et enfin  d'une biscotte, avant d’opter pour sa fameuse madeleine. 

Voici pour mémoire un passage célèbre de Du côté de chez Swann : « Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine que, le dimanche matin, à Combray, quand j'allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m'offrait après l'avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m'avait rien rappelé avant que je n'y eusse goûté... ».

Le fond qui sera vendu aux enchères comprend également des travaux scolaires et universitaires que Marcel Proust a rédigés entre 1884 et 1895 à l’occasion de son passage au lycée Condorcet et à la Sorbonne. Chose émouvante : on peut lire sur ces documents les corrections des professeurs, notamment de son professeur de philosophie. Alphonse Darlu note ainsi sur un devoir dont le sujet est « le rêve » : « Ni pour le développement, qui est incertain, ni pour la forme, qui est molle, vague, et ne précise jamais les idées abstraites, ni pour le ton, très lourd et pâteux, le devoir ne ressemble à une dissertation. Note 4/20 ».

On apprend que le jeune Marcel Proust a pratiqué l'écriture théâtrale, dont une écrite alors qu’il était âgé de 13 ans, ainsi que l’ébauche d'une pièce prémonitoire d'une scènes que l’on retrouvera dans À la recherche du temps perdu.

Parmi les documents, soixante-neuf lettres de Bernard Grasset et de ses collaborateurs rappellent un temps où le génie de Proust était si peu évident pour certains que pour publier ses écrits l’auteur de À la recherche du temps perdu devait payer.... Ces lettres évoquent les problèmes et les contraintes de mise en page de Du côté de chez Swann qui fut édité à compte d’auteur quelques mois avant le début de la Première Guerre Mondiale. D’autres documents comptables nous permettent d’en savoir plus sur le nombre d’exemplaires vendus et le prix de vente conseillé par Grasset qui n’anticipera jamais un succès potentiel (ce qui permettra à Gallimard de rafler la mise proustienne).

Pourquoi parler de Proust ?

La Madeleine de Proust est devenue une expression passée dans le domaine public pour évoquer la réminiscence d'un événement de manière fortuite.

Proust étant convaincu que c'est en goûtant une madeleine que sa mémoire se réveilla, nous nous sommes permis de commenter cette conviction à l'aune des lectures nostalgiques des albums de Tintin,

afin de démontrer que ce n'est pas l'apparition fortuite d'un événement qui crée l'émotion de l'instant, mais que c'est bien la réalité de l'instant qui est la cause d'une émotion (cette démonstration est à lire dans La véritable révolution des Picaros).

Qui possèdent les manuscrits de Proust ?

Si la Bibliothèque nationale de France (BnF) réussit à récupérer 7,7 millions d'euros de dons auprès du grand public, et si la mise aux enchères chez Sotheby’s respecte les prévisions le plus optimistes, le fruit de la vente (amputé de divers frais et taxes) sera remise en main propre aux héritiers d'une nièce de lécrivain (Suzy Mante-Proust1903-1986). la nièce de Marcel Proust. Cette femme a toujours voué un culte sincère et respectueux à l’égard de celui qu’elle appelait « oncle Marcel », avant que l’écrivain ne lui demande de l’appeler Marcel, avant même qu’elle ne comprenne qui il était vraiment : « Il me paraissait un être tellement exceptionnel, il m'a toujours éblouie. L'homme était extraordinaire, fascinant, et quand j'ai pu le lire j'ai trouvé qu'il n'y avait pas d’œuvre supérieure à la sienne. Il avait un esprit, un charme extraordinaire ! ». Suzy Mante-Proust avait déjà cédé en 1962 quelques manuscrits qu’elle possédait à la Bibliothèque Nationale pour qu'ils y soient conservés durablement et l’on peut s’étonner que d’autres documents aussi précieux puissent être encore disponibles, ce qui peut laisser supposer qu'il s’agit-là des derniers « fonds de tiroir » proustien détenus par des personnes privées.

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