Les couvertures des albums de Tintin méritent que l'on s'y attarde, car elles mettent en évidence tout le talent d'Hergé en matière de mise en page. Le savoir-faire du créateur de Tintin, peaufiné durant les années passées en tant qu'illustrateur de messages publicitaires est à son œuvre lorsqu'il s'agit de réfléchir à comment mettre en scène la couverture d'un album de Tintin. La preuve en image...
De la Pub à la BD
C'est dans les années 30 qu'Hergé devient officiellement un illustrateur de publicité à travers ce qu'il appela L'Atelier Hergé. Il se consacre alors à la création publicitaire en proposant notamment des bandes-dessinées promotionnelles comme celle des « Mésaventures de Jef Debahker » pour les briquettes Union ou celle appelée « Cet aimable Mops » pour l'enseigne Le Bon Marché. Hergé dessine également des logos et des affiches plus classiques qui démontrent son sens de la synthèse graphique quand il s'agit, à partir d'une seule illustration, faire passer un message institutionnel ou promotionnel. Ensuite, à partir du succès de l'album Le Lotus bleu, Hergé mettra en scène son héros Tintin, puis certains personnages, à l'occasion de publicités qui seront, dès les années 50, créées par les Studios Hergé.
Pourquoi évoquer cette période la vie d'Hergé ? Parce que les couvertures des albums de Tintin font la démonstration parfaite que l'œil du publicitaire était encore actif lors de la création de ce qui peut se comparer, pour une bande dessinée, à la vitrine d'un magasin...
Des idées pas retenues
Comme tout bon publicitaire qu'il est resté, Hergé a su faire évoluer le packaging de son « produit » à travers les refontes successives des albums. Nombre de premières couvertures, initialement en noir et blanc et très détaillées, ont été modernisées pour les éditions couleur, ce qui n'est pas toujours du goût des passionnés qui préfèrent le Hergé première mouture (celui du noir et blanc et du dépouillement graphique. Ces refontes sont l'équivalent d'un re-branding pour s'adapter à un marché plus large et aux nouvelles techniques d'impression. Bien que chaque couverture soit unique, la maquette générale (position du logo Tintin, typographie du titre, format) assure une cohérence de marque à l'ensemble de la collection, facilitant la fidélisation du lecteur (pour celles et ceux que ce sujet intéresse, lisez la démonstration du savoir-faire d'Hergé en matière de création de logo en lisant La véritable destination du Vol 714).
Hergé ne se contente pas d'illustrer ses récits d'une couverture agréable à contempler... Il assure la promotion de ses BD par le biais d'illustrations pensées comme des affiches publicitaires : percutantes, simples, informatives et dotées d'un pouvoir d'attraction quasi universel. Des idées innovantes seront proposées à l'éditeur Casterman qui les refusera toutes, prétextant une inadéquation entre les attentes des lecteurs et les audaces voulues par Hergé. Ainsi, lorsque le créateur de Tintin souhaite que la couverture de Tintin au Tibet soit totalement blanche, Casterman réussit à lui imposer de dessiner une chaîne de montages en arrière plan. Une autre idée ne fut pas retenue : celle qui consistait à mettre en relief les éclats de verre brisée de la couverture de L'Affaire Tournesol (Casterman refusa, jugeant le coût de fabrication trop onéreux). On peut s'étonner, qu'à cet instant de sa carrière et de sa renommée, Hergé n'ait pas exigé la production d'une édition de luxe, ce qui aurait fait le bonheur des collectionneurs... Mais on ne peut tout avoir : le don du dessin, le sens du scénario, des idées dignes de celles d'un grand publicitaire, et le génie de la négociation.
Le point de vue de Tintin ou du lecteur
Hergé est réputé pour la clarté et la simplicité de son trait qui peut assimiler certains de ses dessins à l'efficacité d'un logo (ce qui a été évoqué dans l'essai La véritable destination du Vol 714, en prenant l'exemple de la couverture de l'album Les Bijoux de la Castafiore). Dans une couverture d'un album de Tintin, les personnages principaux (Tintin, Milou, Haddock, Tournesol, etc.) sont des icônes visuelles qui incarnent et rappellent les codes d'un univers autonome. Même lorsque la mise en scène est complexe (comme celle du Crabe aux Pinces d'Or), Hergé sait donner à voir les éléments clés d'une aventure au mystère attrayant.
Si les couvertures des Aventures de Tintin privilégient souvent un moment de tension dramatique ou une situation d'urgence, comme la couverture de L'Affaire Tournesol qui montre Tintin, Haddock et Tournesol en mauvaise posture, Hergé sait utiliser des angles de vue originaux et des gros plans sur les personnages ou les objets importants (Le sous-marin en forme de requin du Trésor de Rackham le Rouge ou le champignon de L'Étoile mystérieuse).
Autre particularité de certaines couvertures de Tintin : lorsque Hergé fait participer le lecteur à l'action :
- Dans L'île noire et Objectif Lune, la mise en page donne l'impression au lecteur de faire partie de l'action (nous suivons Tintin quand il s'approche de l'île et nous sommes à la poursuite de la jeep conduite par Tournesol).
- Dans L'Affaire Tournesol, le verre brisée de la couverture peut donner l'impression d'être soi-même à proximité du lieu de l'accident. Nous regardons Tintin et ses compagnons à travers une vitre brisée, peut-être que nous sommes d'ailleurs dans la voiture que Tintin conduisant...
- La couverture des Bijoux de la Castafiore est la plus emblématique du procédé de faire alliance avec le lecteur, puisque Tintin nous intime de faire silence.
Dedans ou dehors...
Si Hergé réussit parfaitement à mettre en scène ses protagonistes dans un paysage qui va évoquer sans détour le contexte dans lequel va se dérouler son histoire (le désert du Crabe aux pinces d'or et du Pays de l'Or noir, la lune de On a marché sur la lune, la forêt tropicale de Tintin et les Picaros), il est aussi très à l'aise pour placer ses héros à l'intérieur d'un décor fermé. L'atmosphère créée par ce cloisonnement ajoute du mystère sans nous perdre pour autant. L'intérieur fictif de la pyramide de la couverture des Cigares du pharaon, celui du tombeau inca du Temple du soleil ou celui du volcan de Vol 714 pour Sydney sont les exemples parfaits de cette maîtrise parfaite de la mise en page au profit d'une ambiance qui doit susciter le mystère et le dépaysement.
Le titre des albums n'est pas un simple texte, il est partie intégrante de la composition et du message. Il est court, percutant et mémorable. Il est surtout dessiné par Hergé qui fait preuve d'un autre talent : celui de typographe.
Les pastiches... Ou la preuve de la vitalité des Aventures de Tintin
Il n'y a que les ayants droit de l'œuvre d'Hergé qui s'offusquent des pastiches d'album ou de couvertures réalisés, non au détriment de l'œuvre, mais au profit de sa pérennité. Le plus bel exemple de ce droit à la dérision ou à l'outrance est celui proposé par Marcel Duchamp à travers sa parodie de La Joconde de Vinci (l'artiste affublant Mona Lisa d'une jolie paire de moustache). Jusqu'au titre choisi par Duchamp (L.H.O.O.Q), le droit à la satyre ou à l'insolence n'a pas gâché l'aura d'une œuvre qui est celle qui fait du Musée du Louvre le musée le plus fréquenté du monde, ou qui participe activement à son aura... Moustache ou pas Moustache.
Voici donc, pour conclure cet article, quelques couvertures revues et modifiées en hommage au génie d'Hergé...
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