Les couvertures des albums de Tintin méritent que l'on s'y attarde, car elles mettent en évidence tout le talent d'Hergé en matière de mise en page. Le savoir-faire du créateur de Tintin, peaufiné durant les années passées en tant qu'illustrateur de messages publicitaires est à son œuvre lorsqu'il s'agit de réfléchir à comment mettre en scène la couverture d'un album de Tintin. La preuve en image...
De la Pub à la BD
C'est dans les années 30 qu'Hergé devient officiellement un illustrateur de publicité à travers ce qu'il appela L'Atelier Hergé. Il se consacre alors à la création publicitaire en proposant notamment des bandes-dessinées promotionnelles comme celle des « Mésaventures de Jef Debahker » pour les briquettes Union ou celle appelée « Cet aimable Mops » pour l'enseigne Le Bon Marché. Hergé dessine également des logos et des affiches plus classiques qui démontrent son sens de la synthèse graphique quand il s'agit, à partir d'une seule illustration, faire passer un message institutionnel ou promotionnel. Ensuite, à partir du succès de l'album Le Lotus bleu, Hergé mettra en scène son héros Tintin, puis certains personnages, à l'occasion de publicités qui seront, dès les années 50, créées par les Studios Hergé.
Pourquoi évoquer cette période la vie d'Hergé ? Parce que les couvertures des albums de Tintin font la démonstration parfaite que l'œil du publicitaire était encore actif lors de la création de ce qui peut se comparer, pour une bande dessinée, à la vitrine d'un magasin...
Les objectifs d'une couverture de BD ?
La couverture d'une bande dessinée est d'un enjeu crucial quand il s'agit d'informer les habitués de la parution d'une nouvelle histoire et de donner envie à de nouveaux lecteurs de s'intéresser à cet album. Les objectifs d'une couverture de bande dessinée doivent répondre à des objectifs qui combinent des impératifs commerciaux et artistiques. Une couverture de bande dessinée agit comme une affiche pour l'album, ou une vitrine de magasin : elle doit séduire et informer le lecteur.
Voici les principaux objectifs d'une couverture de BD :
- Objectifs commerciaux : Une couverture de BD doit accrocher le regard et attirer l'attention. Elle doit se démarquer pour que le lecteur potentiel prenne le temps de s'intéresser à l'album. Elle doit inciter à l'achat et à la lecture en se servant de l'alchimie créée par l'illustration, le titre et les noms de ou des auteurs. Elle doit suggérer l'univers et le genre de la BD (fantastique, humour, historique, etc.), l'époque et l'ambiance du récit (comique, suspense, action...). Une couverture de BD ne doit pas perturber les lecteurs fidèles en étant reconnaissable sans peine (continuité graphique du logo, du style, de la typographie), sans pour cela devenir banale avec le temps
- Objectifs informels : L'illustration et le titre doivent donner un aperçu pertinent de ce que le lecteur va découvrir (héros, action principale, lieu ou le thème central de l'histoire). Une couverture doit séduire sans tromper le lecteur en utilisant des codes visuels (cadrage, plans, couleurs, lignes de force) pour dramatiser ou émouvoir, et pour mettre en avant le ou les personnages principaux.
- Objectif artistique : La couverture est également l'occasion pour l'auteur ou le dessinateur de faire la preuve de son talent ou de son sens de la mise een scène. Certaines couvertures des Aventures de Tintin sont devenues des œuvres à part entière (Le Lotus bleu, Tintin au Tibet, L'Affaire Tournesol) indépendamment de leur réussite graphique.
Quelques couvertures emblématiques de Tintin
Hergé est réputé pour la clarté et la simplicité de son trait qui peut assimiler certains de ses dessins à l'efficacité d'un logo (ce qui a été évoqué dans l'essai La véritable destination du Vol 714, en prenant l'exemple de la couverture de l'album Les Bijoux de la Castafiore).Dans une couverture d'un album de Tintin, les personnages principaux (Tintin, Milou, Haddock, Tournesol, etc.) sont des icônes visuelles qui incarnent et rappellent les codes d'un univers autonome. Même lorsque la mise en scène est complexe (comme celle du Crabe aux Pinces d'Or), Hergé sait donner à voir les éléments clés d'une aventure au mystère attrayant.
Une couverture d'un album de Tintin n'est jamais statique ; elle raconte une histoire en une seule image, agissant à la manière de ce que l'on nomme en communication un teaser. Les couvertures privilégient souvent un moment de tension dramatique ou une situation d'urgence, comme la couverture de L'Affaire Tournesol qui montre Tintin, Haddock et Tournesol en mauvaise posture. Hergé sait utiliser des angles de vue originaux et des gros plans sur les personnages ou les objets importants (Le sous-marin en forme de requin du Trésor de Rackham le Rouge ou le champignon de l'Etoile mystérieuse).
Chaque couverture est un chef-d'œuvre de concision narrative, capable de résumer le thème principal, le lieu et les enjeux de l'histoire. L'arrière-plan situe immédiatement l'action et promet le voyage (Les pyramides et le désert pour Les Cigares du Pharaon, le temple inca et les Andes pour Le Temple du Soleil, le paysage lunaire pour On a marché sur la Lune. Hergé sait jouer des codes des arts connexes à la bande dessinée, comme c'est le cas pour la couverture des Bijoux de la Castafiore qui fait de Tintin le complice (le héros de Hergé nous demande de faire silence avant le début de la représentation ou de ne pas répéter aux lecteurs néophytes ce que nous savons de l'issue de la pièce...).
Le titre des albums n'est pas un simple texte, il est partie intégrante de la composition et du message. Il est court, percutant et mémorable. Il est surtout dessiné par Hergé qui fait preuve d'un autre talent : celui de typographe.
Comme tout bon publicitaire qu'il reste, Hergé a su faire évoluer le packaging de son « produit » à travers les refontes successives des albums. Nombre de premières couvertures, initialement en noir et blanc et très détaillées, ont été simplifiées et modernisées pour les éditions couleur. Ces refontes sont l'équivalent d'un re-branding pour s'adapter à un marché plus large et aux nouvelles techniques d'impression. Bien que chaque couverture soit unique, la maquette générale (position du logo Tintin, typographie du titre, format) assure une cohérence de marque sur l'ensemble de la collection, facilitant la fidélisation du lecteur (pour celles et ceux que ce sujet intéresse, lisez la démonstration du savoir-faire d'Hergé en matière de création de logo en lisant La véritable destination du Vol 714).
En conclusion, Hergé ne se contente pas d'illustrer ses récits d'une couverture agréable à contempler... Il assure la promotion de ses BD par le biais d'illustrations pensées comme des affiches publicitaires idéales : percutantes, simples, informatives et dotées d'un pouvoir d'attraction quasi universel.
Les pastiches... Ou la preuve de la vitalité des Aventures de Tintin
Il n'y a que les ayants droit de l'œuvre d'Hergé qui s'offusquent des pastiches d'album ou de couvertures réalisés non au détriment de l'œuvre, mais au profit de sa pérennité. Le plus bel exemple de ce droit à la dérision ou à l'outrance est celui de Marcel Duchamp, lorsqu'il parodia La Joconde de Vinci en lui dessinant une paire de moustache au-dessus de son sourire si célèbre. Jusqu'au titre choisi par Duchamp (L.H.O.O.Q), le droit à la satyre ou à l'insolence n'a pas gâché l'aura d'une œuvre qui est celle qui fait du Musée du Louvre le musée le plus fréquenté du monde...
Voici donc, pour conclure cet article, quelques couvertures revues et modifiées en hommage au génie d'Hergé...
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